Laurent Cantet : un cinéaste passionné par les ados

A l’occasion de la sortie en salles le 2 janvier 2013 de « FOXFIRE », Laurent Cantet nous a fait le plaisir de nous recevoir au sein de sa maison de production Haut et Court.  C’est fortement positif : rarement un film a tant parlé d’adolescence et avec tant d’honnêteté. Ici, Legs, adolescente crée un gang de filles qui s’unissent dans l’Amérique des années 50 afin de prendre leur vie en main et de construire un nouvel horizon. Retour sur un homme dont le regard, loin d’être feutré par la beauté du lieu, indique son exigence et la réalité de son attachement à l’adolescence.

Vous avez filmé l’adolescence dans plusieurs de vos films, à commencer par « Jeux de plage ». En quoi est-ce un moment de vie qui vous inspire ?

L’énergie de ce moment-là de la vie est très inspirante. Puis, c’est le moment où la conscience des choses se met en place et se définit dans la confrontation à la réalité. Les adolescents s’ouvrent au monde, à la politique. Ils doivent trouver leur place, comprendre qui ils sont, comment gérer tous les problèmes auxquels ils sont confrontés. Pour affronter le monde adulte, ils doivent fabriquer des outils. Alors, ils foncent, puis reculent. C’est ce qui donne cette impression d’instabilité et d’incohérence aux adultes, alors que tout çà se tient.
C’est surtout une période sur laquelle les adultes portent énormément de jugements. On traite les ados de crétins, de sauvageons. Pourtant, tous, on est passé par là. Leurs jugements induisent des comportements d’ados : ils reprennent les critiques à leur compte, pour la dépendance à l’ordi par exemple. Je voulais offrir un regard plus complexe et rendre justice à ce que sont les ados.

 

foxfire affiche

Dans Foxfire, les ados que vous avez filmés vivent dans les années 50. Vous avez refusé de faire une adaptation contemporaine du livre.

La transposition dans l’époque actuelle était impossible. En lisant le livre, j’ai eu tout de suite des images des années 50 aux USA. Si j’avais transposé le livre, quelque chose aurait manqué. Et les années 50 sont très intéressantes : c’est l’apogée du rêve américain tel que le cinéma l’idéalise. Je voulais montrer tout ce qui était laissé de côté. Et puis, c’est une période où le contrôle social était moins important. Si des ados achetaient une voiture ou une maison aujourd’hui, ce serait inimaginable. La DDASS ou les flics seraient déjà là. C’est peut-être romanesque dans le texte mais ça fonctionne mieux qu’aujourd’hui.

Vous disiez que les ados étaient plus émancipés que maintenant. Les ados ont-ils moins de rêves ?

Les perspectives des ados contemporains sont beaucoup moins ouvertes qu’à l’époque : ils sont entourés de préoccupations économiques et concernant leur avenir qui prennent le pas sur beaucoup de choses. Mais même si c’est plus difficile qu’avant les ados ont des rêves. C’est plus difficile, mais la foi est toujours là. Regardez les femen ou les anonymous : ils veulent un autre monde.

Vous avez filmé des filles, de surcroît en gang. Le cinéma a toujours eu tendance à préférer les gangs de garçons.

Les filles étaient plus intéressantes. Les gangs de garçons, ce sont des panoplies de caricatures. Ici, ce sont des femmes, des adolescentes et qui viennent d’un milieu très pauvre. Elles représentaient l’oppression maximale. J’ai aimé surtout leur féminisme : ce n’est pas pour elle un concept : c’est quelque chose d’intégré dans leur conception politique de la vie. Leur féminisme, c’est intuitif, c’est se défendre contre les mecs.

Dans vos films où les ados sont au centre de votre discours, les parents sont soit dépassés, soit impuissants. Pourquoi ?

Il est très difficile pour les adultes d’appréhender l’adolescence. On n’a absolument aucun outil pour ça. C’est pour ça que dans mon film, j’ai voulu éviter toute grille de lecture et laisser les actrices le plus libre possible, pour ne pas tomber dans la caricature. Les adultes ont la nostalgie de leur adolescence. Le problème, c’est que leurs souvenirs sont devenus des systèmes de pensée qui nient les différences entre ce qu’ils ont vécus et ce que les ados vivent aujourd’hui. Il y a pourtant un fossé.

Puisque tout réalisateur met un peu de lui dans ses films, quel ado étiez-vous ? Pensiez-vous déjà devenir cinéaste ?

Un ado qui n’a rien à voir avec ses personnages. J’étais un ado très calme, trop calme, très sage, trop sage qui n’a pas eu besoin de beaucoup s’opposer en tout cas pas à sa famille. J’étais quelqu’un d’un peu mélancolique. Le cinéma, c’était un rêve comme on en a beaucoup à cet âge. Un jour, j’ai passé le concours d’entrée à l’IDHEC. Pendant 3 ans, je n’ai fait que ça. C’est à la fin que j’ai senti que c’était un besoin nécessaire pour moi.

Auriez-vous quelque chose à ajouter ?

Oui, je voudrais dire que dans ce film, je voulais regarder l’adolescence de face et non de haut, y trouver une énergie que je n’ai plus (rires) et de montrer ce qu’elle a de beau. Et que réaliser ses rêves est toujours possible.

 

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